Comment garder l’espoir et l’axe interne face aux feux ravageurs et autres désastres actuels ? Cette question, au cœur de l’écoanxiété, néologisme récent, m’interpelle profondément en ce début de nouvelle décennie qui verra mes enfants devenir des adolescents puis de jeunes adultes. Toute psychologue que je suis, soi-disant experte de la gestion des émotions et de l’anxiété en particulier, je n’ai pas de réponse simple à donner à mes patients qui sont aux prises avec ces défis psychologiques inégalés à ce jour. Juste quelques réflexions à vous partager qui me sont venues suite à la lecture du mémoire passionnant d’une jeune étudiante brillante de l’école Sup’écolidaire. Merci Anne-Charlotte Carrette pour ton ouverture de cœur et d’esprit magnifique, qui existe chez beaucoup de tes pairs, la génération Y, et qui me remplit d’espoir en te lisant.
Distinguer nature et culture en valorisant la seconde sur la première fut une erreur dramatique de nos aïeux et une des origines de notre situation actuelle. Il est urgent de retrouver équilibre et harmonie entre ces deux pôles de l’espèce humaine. Coupé de la nature depuis bien trop longtemps, l’homme court à sa perte, à vitesse exponentielle. Est-ce inéluctable ? Personne ne le sait. Mais rappelons-nous que le mot crise vient du mot grec krisis signifiant moment de discernement et de la décision. La crise est ainsi cet appel à revenir à l’essentiel, à retrouver notre vraie nature. Mais quelle est-elle ? Qui sommes-nous vraiment au milieu de ce chaos ? La prédominance du rationalisme cartésien est en train de s’effriter peu à peu et c’est une bonne nouvelle. Pour preuve, observons l’intérêt grandissant pour les approches psychologiques, énergétiques et spirituelles. Que ce soit l’essor de la communication bienveillante ou de la pleine conscience à l’école, l’acceptation de techniques comme l’EFT dans nos institutions soignantes et académiques ou encore les prières collectives universelles pour l’Australie il y a quelques jours, les esprits bougent.
Le chemin reste cependant long, ardu et peu sûr. Le petit moi de l’immense majorité des habitants de cette planète est encore dramatiquement autocentré et dissocié. Les initiatives individuelles, nos parts de colibris, sont parfois peu constantes et bien partielles, et font poids plume face aux actions (ou non-actions plutôt) de nos gouvernements. Que faire alors ?…. L’écospiritualité, discipline liant écologie et spiritualité et incluant l’écopsychologie, propose très concrètement de se reconnecter à son Soi pour éveiller un mouvement profond et authentique de protection et de restauration de la nature. Se reconnecter à son Soi, une priorité en effet. Etty Hillesum jeune femme juive morte à Auschwitz écrivait du camp de transit de Westerbork : « Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. ». Il est temps de sortir de notre crise d’adolescence collective dont les conséquences pour l’Homme et la Nature ne peuvent plus être niées, même par les plus sceptiques. Il est temps de sortir de nos petits moi, de changer de niveau de conscience et de trouver le chemin vers le Soi. Ainsi je nous souhaite, collectivement, de vivre une « nuit noire de l’Ame ». Cette expérience est une perte profonde de sens, sur notre vie et nos croyances. Elle plonge l’individu dans ses peurs les plus profondes et prépare à la véritable transformation intérieure. L’égo se meurt, le Soi s’éveille. Je nous souhaite de vivre ce rite de passage, de parcourir la courbe du deuil en lien à la collapsologie et de parvenir aux dernières étapes : pardon, sens & renouveau, et croissance & sérénité.
Comment nous dépolluer l’intérieur pour enfin dépolluer l’extérieur ? Je crois tout autant à la psychologie qu’à la spiritualité pour y parvenir, mais surtout je crois que les deux sont indissociables. L’une ne peut pas aller sans l’autre. La psychologie sans spiritualité amène rapidement à des impasses de sens et donc à une impossibilité de traverser les angoisses existentielles telle que l’écoanxiété. La spiritualité sans la psychologie amène à ce qu’on appelle le contournement spirituel qui se manifeste par un manque d’ancrage voire à un état dissociatif qui empêche la véritable connexion à soi et aux autres. Nous devons donc œuvrer doublement.
Le « travail » (car il s’agit bien d’un travail exigeant et parfois éprouvant) de connaissance de soi permis par la psychologie a la vertu de mieux appréhender nos limites égotiques, ce petit moi qui bataille avec ses blessures. Celles-ci sont liées majoritairement à nos événements de vie et relations d’enfant et d’adolescent avec nos proches, comme les principes de l’attachement nous l’ont montré. La nécessité d’aller à la rencontre de nos parties blessées et de nos failles narcissiques avec bienveillance et amour les apaisent peu à peu, libèrent notre Self des peurs et blocages, et ouvrent ainsi le carcan individualiste vers l’extérieur donc vers les autres et vers la nature, naturellement… Permettre ce retour à soi et cette introspection, prônés déjà par Socrate et St Augustin, est le propre de notre travail de thérapeutes et notre part de colibris dans le chantier qui s’impose à nous.
« Spiritualiser la matière »… ces trois mots prononcés par ma thérapeute cette semaine (gratitude) évoquent pour moi la nécessité aujourd’hui de nous rappeler notre nature spirituelle. La crise écologique nous ouvre à l’essence de ce que nous sommes, c’est-à-dire au-delà du petit moi, de notre histoire, de nos blessures et traumatismes. Elle nous ouvre à ce Soi relié et ouvert à bien plus grand que notre simple existence terrestre. Bien souvent les malades en phase terminale en approchant l’inéluctable témoignent de cette transformation intérieure. Les auteurs existentialistes, comme Irvin Yalom que j’affectionne particulièrement tout autant pour la fluidité de sa plume que la finesse de ses réflexions, placent la mort au centre de leurs écrits. C’est dans l’horizon de celle-ci que la vie humaine prend en effet tout son sens. Ainsi je nous souhaite de vivre non pas la fin du monde mais la fin d’un monde : la mort du monde matérialiste, rationaliste et individualiste. Face à cette mort souhaitée, ouvrons nos cœurs à plus vaste et à plus beau pour être intensément présents et vivants, au quotidien, avec nos proches, nos collègues, nos patients, nos voisins de palier et ceux du bout du monde. Voici ce que je nous souhaite pour 2020 et la décennie.
Je terminerai avec les mots d’Anne-Charlotte. Puissent-ils résonner en vous comme ils ont résonné en moi :
« Tout l’enjeu de l’écospiritualité réside dans notre vocation – bien plus que dans notre capacité, qui est matériellement universelle – à œuvrer pour la protection et la restauration de notre planète. Cette vocation, bien plus profonde que la volonté, ne peut trouver sa source que dans un véritable engagement de soi envers Soi. Celui-ci implique d’oser prendre le train de notre monde intérieur en sachant que nous y traverserons les endroits les plus sombres (nos blessures, nos traumatismes, nos peurs) afin de pouvoir accéder aux contrées les plus lumineuses de notre être. Ce sont ces dernières qui nous donneront l’élan, l’envie et le courage d’écouter le cri de la terre dans le silence de notre cœur, et d’y répondre avec humilité et amour. Cela suppose une véritable renaissance en Soi, qui a tout son sens, puisqu’il serait vain de vouloir guérir efficacement l’écosystème terre si nous en sommes scindés, aveuglés par notre petit moi (ego). »
Affectueusement,
Gwenaelle