On ne peut emmener quelqu’un à un endroit où nous ne sommes pas allés nous-mêmes. Cette assertion souvent entendue lorsqu’on est thérapeute nous incite à rencontrer et à soigner nos propres blessures et traumatismes pour être des guides, parfois de haute montagne, avec nos patients. Les paysages traversés sont uniques à chacun, mais les éprouvés et les difficultés sont universels : déconnexion émotionnelle, blindage par le mental, colère « d’en être encore là », honte de notre vulnérabilité, etc…

Les écrits de Jean Monbourquette sur l’archétype du guérisseur blessé sont un formidable guide pour cheminer sur ces terres que nous évitons parfois, nos protections mentales toutes voiles dehors, nous abritant derrière nos connaissances et années d’expériences pour accompagner nos patients sans nous occuper suffisamment de nos vieux dossiers. Quelle erreur fondamentale ! La blessure des soignants (et de tout être humain) est liée à l’ombre personnelle. Si celle-ci n’est pas apprivoisée, nous la projetons sur nos patients d’une part, et nous oublions de nous servir des ressources du patient (le Soi) d’autre part. Nous risquons alors de nourrir une part agressive en nous et/ou de nous effondrer épuisés.

Le chemin d’évolution, pour soi et pour nos patients, est celui de l’humilité et du courage. Il s’agit de descendre dans notre inconscient et « d’activer » le pôle du guérisseur blessé qui est bloqué : la part blessée. En effet, nous avons tous en nous cet archétype qui renferme deux aspects a priori contradictoires : le guérisseur et son ombre, le fait d’être blessé. Ces deux aspects existent en chacun de nous et constituent l’archétype dans sa totalité et donc dans sa force.

Au départ d’une thérapie, le patient projette sur le soignant son guérisseur intérieur. Il attend de l’aide, voire un miracle, car il croit ne pas être suffisamment solide/capable pour s’en sortir seul. En face, le soignant projette sur le patient sa part blessée, percevant avant tout les faiblesses et limites de la personne et ne faisant pas confiance à la capacité d’auto guérison. Chacun est dans son rôle, l’un victime, l’autre « sauveteur », et cela peut durer longtemps… La thérapie peut rapidement stagner, voire s’arrêter faute de résultats.

S’inscrivant dans un courant humaniste proche de Maslow, Jung ou encore Grof, Monbourquette nous dit que le travail du thérapeute est d’éveiller le guérisseur intérieur du patient, ce qui va éveiller en retour la blessure du thérapeute, comme le montre ce schéma. Le patient prend conscience de son pôle guérisseur, et le thérapeute descend dans son ombre, tapie dans l’inconscient. Alors l’énergie, sous forme d’informations et d’émotions, peut circuler entre les différentes parts de chacun et la guérison s’opère. Le patient perçoit enfin ses forces et ses ressources, son Soi se développe. Le thérapeute fait l’expérience de ses parts blessées et grandit.

Cette expérience de reconnaissance de nos limites et de notre impuissance de thérapeute dissimule paradoxalement une grande puissance. Le contact avec nos parts blessées nous donne une sagesse personnelle : nous soignons davantage à partir du Soi du patient, guidés par notre Soi et une Intelligence supérieure.

« La plus grande calamité du thérapeute est de nier ses blessures, de cultiver l’illusion de la toute-puissance, de s’obliger à guérir seul, sans l’aide du patient ». Jean Monbourquette décrit dans son livre Le guérisseur blessé les cinq étapes à parcourir : de l’absence de conscience quant à nos blessures et l’inflation de l’égo qui va avec (étape 1) jusqu’à l’apprivoisement de notre ombre et le déploiement de l’archétype du guérisseur blessé (étape 5).

La blessure du guérisseur est alors féconde : « Dans notre vulnérabilité à la blessure, nous sommes capables d’être source de vie pour les autres » (Henri Nouwen).

Bel été à tous,

Gwenaelle