Il y a près d’un siècle Jung pensait que beaucoup de ses contemporains n’étaient pas conscients et en souffraient (inconsciemment de fait… ). L’origine de la détresse humaine venait selon lui d’un manque de sens. Pour retrouver celui-ci, Jung encourageait à la rencontre dialectique entre nos différentes facettes, conscientes et inconscientes : en particulier la traversée de nos ombres et l’ouverture à plus vaste.
L’enjeu est plus que jamais d’actualité.
En tant que professionnels de la relation d’aide, quels que soient notre lieu d’exercice et nos approches, nous avons une responsabilité cruciale dans l’accompagnement des personnes dans ces processus de « traversée-ouverture » individuels et collectifs.
Beaucoup souffrent de la situation générale, car ils ne voient pas ou plus le sens dans ce que nous vivons. C’est particulièrement douloureux pour ceux dont la marge de contrôle est très réduite et qui ont ainsi le sentiment de subir depuis de longs mois. Peu étonnant que la dissociation et le refoulement des affects soient si hauts, avec le risque d’explosion ou d’implosion qui l’accompagne.
C’est le moment de se rappeler que nous sommes dans l’hiver. Pas seulement ces quelques mois calendaires. J’entends par hiver cette époque de crise majeure pour nous tous.
Hiver.
Période d’hibernation, de retour à soi, d’introspection.
D’abord pour identifier et réguler les émotions refoulées et débordantes (les deux faces de la même médaille), de toutes ces décennies de trop-vide et de trop-plein (idem, deux faces d’une même médaille), issues d’un mode de vie hors-sol et coupé du divin. Nous payons selon moi, à l’échelle de la société, le prix de la perte des ancrages de base que sont la nature et le sacré.
Hibernation nécessaire aussi pour retrouver le chemin du sens et de l’alchimie entre le conscient et l’inconscient, chers à Jung et à tant d’autres chercheurs de la complétude. Pourquoi est-ce si essentiel, vital même ? Simplement parce que la mise en sens d’une situation, qui en est dépourvue en apparence, permet de supporter celle-ci. Comme en témoignent ceux qui sont allés visiter l’enfer, telle que Marsha Linehan, psychiatre ayant connu l’obscurité terrifiante du vide borderline dans sa jeunesse, ou tant d’autres (Nelson Mandela, Etty Hillesum, Viktor Frankl…), la quête de sens est le phare qui permet de ne pas sombrer.
Sans mise en sens, le risque est le glissement voire la perte dans la psychose (domination du chaos et déconnexion très anxiogène par inhibition du conscient) ou dans la névrose (hyper contrôle du conscient qui coupe l’accès à nos ressources naturelles de guérison situées dans l’inconscient). Dans les deux cas, l’individu est bloqué dans son processus d’évolution et aux prises avec une souffrance psychique et souvent physique également, le corps réagissant pour nous signaler notre errance.
Alors comment accompagner vers cette mise en sens salutaire ?
Personnellement, cela fait bien longtemps que j’ai abandonné la position neutre, toute bienveillante soit-elle, l’écran blanc, prônés par l’enseignement académique de la psychologie universitaire. Je crois que l’époque vertigineuse nous appelle à nous engager auprès de nos patients bien au-delà du reflet et des questionnements classiques. Soyons des empêcheurs de tourner en rond, « d’émotionner » en rond, en confrontant le corps, l’esprit voire l’âme de la personne à ce qui est en jeu dans son système dans l’ici-et-maintenant. Ce ne sont pas les outils qui manquent pour cela : EFT, EMDR et autres techniques de régression, incluant les approches chamaniques et transiques que j’affectionne particulièrement pour leur puissance.
Ce qui manque, parfois, c’est la foi de l’ouvrier. Non pas dans ses outils de thérapeute, mais dans le processus de la vie elle-même. Pour l’accompagnant qui parvient à une position méta afin de voir le sens dans le non-sens, le processus contient en lui-même la guérison de la souffrance. Porté par cette lumière, d’autant plus forte qu’elle dépasse le niveau cognitif pour rejoindre le sensible voire le spirituel, le thérapeute alors éclairé peut conduire le patient à travers ses obscurités, ombres et blessures en toute sécurité, car il sait qu’elles ont un sens. Comment le sait-il ? Il l’a vécu lui-même. Il a expérimenté des « traversées-ouvertures » qui relient les éléments conscients et inconscients et amènent à accueillir, pour transformer, la douleur précédemment intolérable et désormais source de libération.
Tout un chemin pour toucher et nourrir notre propre lumière intérieure. Bien sûr.
Chemin infini probablement…. Exaltant aussi, car peu de métiers nous confrontent autant à cette mise en sens qui est le but même de notre existence sur cette planète. Jung écrivait ainsi : « C’est ce sentiment que la vie a un sens plus vaste que la simple existence individuelle qui permet à l’homme de s’élever au-dessus du mécanisme qui le réduit à gagner et à dépenser », ou encore : « C’est seulement ici, dans la vie terrestre où se heurtent les contraires, que le niveau général de conscience peut s’élever. Cela semble être la tâche métaphysique de l’homme ».
Par contraires, ce grand visionnaire qu’était Jung entendait les polarités qui nous agitent individuellement et collectivement tout au long de l’existence : bien et mal, masculin et féminin, froid et chaleur, grandeur et bassesse, naissance et mort… Réconcilier les contraires par un travail avant tout intérieur (et facilité par l’ouverture à l’autre) est une des grandes directions à poursuivre pour devenir de plus en plus soi-même, c’est-à-dire habiter le moi et cheminer vers le Soi. Cela est vrai aussi à un niveau collectif. Aujourd’hui l’expression des plus bas et vils instincts cohabite avec la manifestation de prometteuses lumières d’amour et d’entraide. Comme à d’autres périodes de l’histoire, l’époque est aux extrêmes. Il n’appartient qu’à nous de la vivre pleinement en conscience, hors de nos zones de confort, d’évitement notamment, et d’en faire le terreau de ce que nous voulons pour nos enfants et petit-enfants.
A quelques jours de l’entrée dans une nouvelle année, je nous souhaite ainsi de grandes, puissantes et transformatrices « traversées-ouvertures », pour chacun et chacune d’entre nous, soldats de lumière que nous sommes.
Gwenaelle