Peu d’époques ne nous ont autant confrontés individuellement et collectivement aux grands défis existentiels. Probablement car notre ère nous présente de multiples possibilités : celles de s’élever en conscience, mais aussi, à l’inverse, celles de s’enfoncer dans les ombres anxiodépressives et addictives, le tout sur fond de catastrophe climatique inévitable, et plus récemment de mascarade politico-économique planétaire.

Comment trouver du sens au milieu du non-sens ? Et comment expliquer les réactions aussi diverses des uns et des autres face au non-sens ?

Envie de partager avec vous quelques pistes, non pas de réponses, mais de réflexion, tirées de mes lectures récentes. Notamment le livre Où est le sens ? de Sébastien Bohler qui amène une perspective biologique non dénuée d’humanisme très intéressante, ou encore Dr Louis Fouché, médecin dont l’approche philosophique nous tire vers le haut en ce moment et pour qui j’ai beaucoup de gratitude.

Saviez-vous que dans le cerveau il existe un centre responsable de la gestion du sens ? Le cortex cingulaire antérieur. Celui-ci est en amont de tout le système du stress et a un rôle essentiel dans la prévision des événements et la gestion des conflits entre ce qui est attendu et ce qui se produit. Lorsque l’environnement est incertain, que nous ne pouvons plus prévoir et contrôler le cours de notre vie, le cortex cingulaire s’active. Si cela dure trop longtemps, le stress généré devient trop important et déclenche des angoisses primales en lien avec la peur de mourir.

C’est pourquoi, de tous temps, l’être humain trouve des parades pour restaurer l’équilibre au plus vite et éviter la souffrance. Fouché évoque trois « remèdes » que mentionne aussi Bohler : la symbolique, la société et la technique. La symbolique est l’histoire racontée pour faire sens : les mythes, la religion et les croyances, permettant de mettre un sens sur ce qui nous échappe. La société, c’est-à-dire créer et entretenir les liens dans un groupe, est un rempart à l’incertitude et un calmant puissant pour le cortex cingulaire. Enfin la technique, et depuis peu la technologie, nous aide à prévoir : le GPS, les contrôles médicaux annuels, les assurances en tous genres, la météo, jusqu’au suivi de colis de la Poste… L’humain tente à tout prix de contrôler son quotidien.

Lorsque ces moyens ne suffisent plus, le cortex cingulaire s’emballe et la folie est proche. Des expériences sur des chats citées par Bohler montre qu’en situation de changement permanent, d’imprévisibilité et d’absence de contrôle, les comportements de fuite, de répétition et d’obsession déferlent et l’animal « disjoncte » dans la folie. Ou dans le suicide, comme l’a dramatiquement révélé la vague de suicide chez Orange en 2014 dans un contexte d’instabilité permanente de cadre de travail. Alors, l’humain trouve des solutions court-termistes, qui ne résolvent en rien le problème de fond, mais évitent l’irrémédiable : alimentation, sexe, internet, TV et divertissements, et autres drogues. Ici le monde redevient prévisible et la causalité rassurante : je mange (ou autre), ça me calme. Micro-certitude. Ça marche à tous les coups… (ou presque, car l’habituation fait que je devrai augmenter la dose la prochaine fois pour avoir le même effet).

L’homme a déserté les églises, ce qui ne serait pas un drame si nous avions gardé une connexion avec le sacré et conservé des rituels. Ceux-ci sont bien plus précieux que nous le pensons. Les moments partagés et organisés autour de symboles et d’actions chargés de sens ont pour fonction également d’unir le collectif et de prendre soin des relations entre nous. Les rites du capitalisme et du tout-tout-de-suite sont venus remplacer les rites sacrés. Ainsi, aujourd’hui, « l’opium est la religion du peuple », paraphrase avec finesse Bohler en évoquant ces dépendances multiples de l’humain dit moderne, technologies comprises.

Les stratégies pour trouver du sens dans le non-sens sont donc multiples, de la plus éphémère à la plus enracinée. Les plus solides et donc les plus saines sont probablement celles faisant appel à notre nature complexe d’êtres à la fois incarnés et spirituels.

Car nous sommes faits de chair et de matière, nous avons besoin de retrouver nos racines avec la nature et son pouvoir d’émerveillement sans pareil (qui calme très rapidement le cortex cingulaire comme les études citées par Bohler le prouvent), ainsi que le contact avec l’autre par la tendresse, les câlins et l’être ensemble (bain d’ocytocine garanti).

Nous avons besoin aussi de récréer une histoire qui nous porte, qui fasse symbole en déployant une vision du monde souhaitée pour nos enfants. C’est ce que Fouché appelle la protension positive collective. Rêver et inventer une société dont les valeurs soient celles du respect du vivant. En cela, la crise est le kairos (moment opportun en grec) dont nous avions terriblement besoin. Pour sortir de la peur et de la colère et aller vers le discernement et le courage. Ainsi nous donnerons raison à Christiane Singer qui écrivait dans Du bon usage des crises : « J’ai gagné la certitude que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire ».

Enfin, je terminerai par ce qui personnellement me porte le plus et m’aide à trouver le sens quand celui-ci semble s’être fait la malle : la spiritualité. « Qu’on le veuille ou non, la question du divin s’impose », cette phrase écrite sur le fronton de la maison du Carl Gustav Jung souligne cette réalité que la société de consommation nous a fait oublier : notre propension innée à nous relier à plus vaste que notre simple petit moi. Ce plus vaste, certains l’appellent Dieu, d’autres les esprits de la nature, d’autres encore la magie qui court dans l’eau des rivières ou dans l’infini du cosmos. Avoir ce sentiment que la vie a un sens bien plus vaste que notre simple existence individuelle aide l’homme à s’élever au-dessus de la logique vide du « gagner-dépenser » quotidien et à faire face aux questions existentielles de la souffrance et de la mort.

En tant que thérapeutes, nous accompagnons un grand nombre de personnes totalement désaxées par les événements actuels et par ce monde qui n’a pas attendu le coco pour tourner à l’envers. Personnellement je me sens honorée de participer à cette opportunité actuelle de passer à un nouveau paradigme en soutenant mes compagnons de galère terrienne, non seulement à traverser leurs difficultés psychologiques, mais aussi à découvrir leur nature profonde, d’êtres de chair, d’esprit et d’âme, en résonance avec le vivant autour de nous.

Au vu de la catastrophe écologique que seul le déni ou la démence permettent d’ignorer, la question du sens n’est plus une option. Pour (sur)vivre, nous devons nous y confronter, urgemment. S’interroger sur le pourquoi de notre présence ici-bas, le pour quoi de nos actions quotidiennes et le comment retrouver une vie pleine de sens ne sont plus des préoccupations à réserver aux seuls philosophes et mélancoliques. En cela, l’époque est formidable, car elle accélère cette nécessité et distribue de nouvelles cartes. A nous de jouer !

Gwenaelle

pour OYA Formations