« Qu’est-ce qu’elle est serviable ! », « De toute manière il a toujours été une pile », « Tout le portrait de son père »… Le piège des étiquettes ou comment mettre quelqu’un, enfant puis adulte, dans une case pour l’y visser. Voilà qui empêche l’individu d’accéder à des facettes autres, plus complexes, moins visibles, de lui-même. Le cerveau, y compris celui du parent bien attentionné, fait cela par souci d’économie cognitive. Catégoriser les éléments du monde extérieur et les labelliser permet de gagner un temps précieux au quotidien, mais constitue un piège lorsqu’il s’agit de la personnalité ou du fonctionnement d’un être vivant.

Le développement d’un faux-self en est la conséquence courante. Dans une société qui réprime encore beaucoup trop les émotions, beaucoup de personnes portent ce masque du faux-self. Il est mis entre soi et les autres pour mettre à distance la détresse qui est au fond de soi et qui n’a pas été reconnue jusqu’alors. La croyance inconsciente qui régit un faux-self est le plus souvent celle-ci : « Si je montre ce que je ressens vraiment, c’est trop dangereux : je vais être rejeté (ou abandonné ou maltraité ou pire exclu) ». Lorsque l’entourage, familial, amical voire soignant, conforte ce masque, celui-ci devient de plus en plus lourd et rigide.

Parmi les masques courants, citons celui de l’évitant mode Teflon, du travaillomane dissocié, du bon soignant, du perfectionniste obsessionnel, de l’histrionique fatigante, du conformiste suiveur, du psychotique incurable… Autant d’appellations qui rassurent le mental qui se sent moins perdu face à un autre déstabilisant par sa différence et ses couches multiples.

En psychologie, et en particulier en psychiatrie, nous perdons de vue parfois la notion de ce continuum et des parties pour se faciliter les neurones en utilisant trop souvent ces étiquettes.  Rappelons-nous que nous avons tous un noyau psychotique, des tendances névrosées et des ilots états-limites en nous… bref que nous avons de nombreuses parties à l’intérieur de nous.

J’ai rencontré récemment une jeune femme hospitalisée 3 x 3 semaines sur plusieurs années en psychiatrie suite à des décompensations d’allure psychotique. Quelle tristesse d’entendre qu’elle est ressortie à chaque fois avec un diagnostic et un traitement à chaque fois plus lourd !… Nullement psychotique ni bipolaire, elle a vécu en réalité à plusieurs reprises des moments d’ouverture de conscience majeure (sans substances) qui, faute d’accompagnement, l’ont plongée dans une angoisse immense et envoyée en HP. L’étiquetage pathologique, la mise sous neuroleptiques (donc 20 kgs en trop et un cerveau fromage blanc) et surtout l’absence de réflexion plurifactorielle sur ses crises auraient pu la chroniciser pour le reste de sa vie. Mais c’était sans compter sur sa partie sécure et éclairée qui a su s’opposer au système et trouver des éclairages ailleurs ! 😉

Mentionnons toutefois certains progrès qui nourrissent mon optimisme de voir advenir demain des prises en charges plus fines et plus ouvertes dans nos métiers de soin. Dans la dernière version du DSM (qui est tout-de-même un stéréotype de l’excès de catégorisation…), une ouverture à la dimensionnalité des troubles psychiques a vu le jour. Pour les troubles de la personnalité, il est désormais proposé des échelles identifiant les traits de personnalité et leur degré de sévérité, ce qui enrichit considérablement la vision dominante de la classification en 10 troubles de personnalité. Alléluia ! On peut aussi citer l’approche transdiagnostique en psychopathologie, qui s’oppose à la vision catégorielle des nosographies habituelles et se base sur l’identification des processus à l’origine des symptômes et des troubles psychiques (cf livre de Baeyens et Monestès). Très intéressant. Je citerai enfin les travaux de Craig Malkin sur le spectre du narcissisme, perspective humaniste pour ouvrir notre regard et sortir des cases.

Très récemment, sur fond de crise sans précédent donc de grande vulnérabilité, les étiquettes vont bon train : complotiste, mouton, anti-vaxx, conspirationniste, dissocié et j’en passe… En tant que professionnels de la relation d’aide, il me semble essentiel de conserver notre complexité de penser et de sentir et d’élever le débat, en regardant peut-être d’abord au fond de nous les parties qui sont activées par ce que nous vivons et qui peuvent nous enfermer dans des défenses de généralisation cognitivo-émotionnelle. Montrons le chemin !

Bel été à tous ! Au plaisir de vous retrouver en formation ou ailleurs.

Gwenaelle

Pour OYA Formations